11 septembre au 10 octobre - Christine Coste / Daphné Gentit / Florence Lemiegre

Corps et âmes 

La Ralentie présente sa première exposition honorant le travail des trois lauréates 2013 du concours qui avait pour thème «Corps et Âme». Trois artistes aux univers forts et inspirés, trois femmes qui au travers d’univers très différents expriment l’érotisme, la sensualité de manière inédite.

Christine Coste, d’abord, prix de la Ralentie, ouvre la voie d’une représentation du corps dont on ne saisit pas tout de suite la portée transgressive. Son univers coloré de rose et de gris campe avec une précision sauvage l’intimité féminine en prise avec le sexuel. Sages, apparemment, sont ses dessins, empreints, pour certains, d’une enfance qui joue avec les loups et les résilles d’un érotisme à la fois innocent et dangereux, se révélant, sans qu’on y prenne garde, flirt cruel.

Ainsi de cette « tête-matrice» pénétrée jusqu’aux larmes par un sexe masculin dont elle se fait elle même le fourreau, vagin-phallus, dedans-dehors tous deux confondus, dont le dessin précis et sensuel qui ourle souplement les bords tempère la violence érotique -rêve terrible et doux d’un viol immobile.

De ma visite d’atelier chez Christine Coste, je voudrais dire ici deux mots. Le premier à propos de ce dessin immense sur la table, en cours de réalisation, dans mon souvenir plus grand qu’elle.

Et elle, dans un silence parfait, chaque jour penchée au dessus, telle Pénélope tissant patiemment sa vision, vision sur laquelle elle ne cède pas, et ceci quel qu’en soit le prix de vertige. Le second est à propos justement de ce vertige qui me prit face à cet autre dessin, encore plus immense, achevé celui ci, accroché au mur, vertige qui m’obligea à m’assoir pour stabiliser mon regard. Vision folle, oui, toujours inspirée de cette invagination matricielle qui la hante, qu’elle avait poussé encore plus loin, au point où ne savait plus d’où s’engendrait l’origine, accouchement d’un dehors sans lieu, et à propos de ce vertige, il m’était venu qu’il était peut être l’effet physique témoignant que quelque chose se figurait là du réel, c’est à dire d’un point d’impossible auquel, exceptionnellement, elle donnait accès.

Daphné Gentil intrigue, car elle voyage, jamais là où on croyait l’attendre. Amoureuse de ses sujets tout autant que cérébrale, ses dessins sont impressionnants de présence et de liberté.

Le trait, tout en flammèche et buisson ardent, impose sa matière comme une gravure sortie d’une transe ancestrale d’où s’épanouirait dans l’ombre un rêve de sorcière. Mystérieuses et jouissives, telle cette «Enamoration clandestine» ou au cœur d’une alcôve d’un genre médiéval, l’amoureuse branle le plus naturellement du monde son amant. « No comment», et en effet, c’est étonnant, on ne s’y attarde pas, on passe, avant tout captivés par la virtuosité technique de l’artiste. Gentil, mine de rien, fait autorité, entendons qu’elle fait ce qu’elle veut, car elle sait. Elle met au service de son univers une impeccable rigueur de réalisation, photographe tout aussi inspirée pour son «Etik» dont elle nous offre une sorte de réécriture plastique audacieuse et profonde. On pressent chez Daphné Gentil une sorte de rage entêtée pour le ravissement que lui procurent ses voyages, à entendre comme: attention, nouvel amour, nouveau médium, nouvelle vague de fond dont la lame saisit et emporte, et l’on croit que tout va casser, mais non, la dame est solide, et son talent est sûr. Elle fait partie de ces artistes qui jamais ne s’installent, de ceux qui savent rompre avec eux mêmes, mus par ce désir d’autre chose tout autant que par une exigence « de facture» qui fait leur art à la hauteur de leurs rêves.

Miniatures terrestres, habitantes tranquilles et fantaisistes sculptées par le feu, Florence Lemiegre, grâce au Raku, donne corps à une peuplade de « girls » dont les humeurs et les états intérieurs inspirent les postures. La grâce de « Naissance des sens » à, par exemple, frappé les visiteurs en quantité surprenante, eu égard à la taille discrète de la sculpture. C’est là le signe qui ne trompe pas : on s’arrête, en effet, aux prises avec un sentiment mêlé de reconnaissance, d’attirance et de discrète dangerosité qui émane du couple enlacé. Les corps blancs, subtilement veinés de gris, au premier regard s’enlacent amoureusement. Mais si l’on tourne autour, à mieux regarder, on les dirait comme ligotés par leurs membres l’un à l’autre; la veinure, justement, accentuant la torsion quasi serpentine de leur emboîtement. Alors la grâce devient vaguement vénéneuse, et l’innocence sensuelle se matîne d’un érotisme âpre, captivant. Les sens ont une emprise, et c’est tout l’art de la sculpteur de nous le suggérer avec talent.

/ Isabelle Floc’h