10 mars au 8 avril - Mitsuaki Saito, Marie Boralevi, Véronique Chanel 

Rêver peut-être

La Ralentie présente la deuxième exposition honorant le travail des trois lauréats du concours 2014 qui avait pour thème « Rêver peut-être».

La diversité d’interprétation du thème est ici frappante, et nous ouvre la porte d’univers choisis pour leur grande originalité. La liberté et l’imaginaire font entre autres la force du travail de Marie Boralevi et de Saito Mitsuaki, tous deux respectivement prix de la Ralentie et prix du Jury, tandis que la douceur prime chez Véronique Chanel, cette dernière emportant le prix du public qui aura choisi la tempérance poétique.

Mitsuaki remet la couleur au premier plan, une couleur résolument vive, qui s’affirme et se juxtapose de façon constamment risquée, comme s’il jouait à provoquer d’impossibles contrastes. Les verts, les rouges et les jaunes éclatent et se côtoient sans jamais jurer, comme domptés par la passion chromatique qui, dirait-on, habite l’artiste et lui donne en même temps l’énergie du geste qui rend parfaite son exécution. Vagues souples et acidulées qui circulent et se tiennent en respect, nuages liquides qui donnent naissance à des formes changeantes, comme autant de ciels à lire, ainsi de cette Geisha née d’une goutte se dilatant au bout d’un doigt, comme suspendue, entrain d’éclore lentement. Saito Mitsuaki s’affranchit de la figuration pour mieux la laisser être, dans un jeu de hasard où surgissent les images, coup de dé qui jamais n’aboli l’élégance ni la jubilation.

Une autre rêverie s’installe avec Véronique Chanel, toute en douceur et en subtilité. Présence d’abord des têtes figurées de dos, qui nous suggèrent par projection une rêverie à la fois familière et inaccessible, à laquelle s’adonneraient par exemple les enfants ou les anges, s’ils l’étaient. Car cette enfance, justement, n’est pas angélique mais douée d’une maturité bizarre, d’une féminité à la fois vague et entêtée, épinglée sous le turban, caressée par le flux gazeux, doux et pétillant des aplats de couleur qui donnent à ces présences la grâce des apparitions. Surgies comme par enchantement de la transparence, mais aussi blessées, comme cette tête d’enfant penchée, au turban rougi, presque écorché, qui semble jauger tristement les profondeurs de sa naissance. Du ciel ou de la terre, entre chair et rêve, on ne sait, ces figures sont justement «présences», lançant à l’artiste l’onirique défi de pouvoir les représenter, défi relevé autant par l’inspiration que le talent technique.

Dans le jeu de saute- mouton des rêves, Marie Boralevi est à la fois l’Ariane et la Pasiphaé. Intuitive, elle vogue, confiante, abandonnée aux flux serein de ses images en provenance des hauts fonds de son imaginaire, là où pulsent les forces, l’énergie vive et cruelle de la prédation fondamentale. Elle murmure en secret sa rage muette de la métamorphose, sa litanie d’une éternelle genèse, d’ images surgies du nulle part, cueillies dans la primeur d’aubes inédites. Indicibles, sauvages, innomées, ses visions s’arrachent comme des membres, et Alice brise son miroir en chantant, célébrant la soudaine poussée de ses deux bois de cerf. Boralevi se joue des limites et des frontières. Elle passe la muraille du temps, elle nous conduit par la main dans le champ de notre préhistoire magnétique, de nos destinées hirsutes. Sauvage et sophistiqué, son univers décline une galerie de personnages tendres et terribles, d’humains mutants à peine déclarés, mi-hommes mi- bêtes en prise au sentimental. La bête est humaine, trop humaine, et elle nous émeut nous fait sourire, sorte de comédie savante des cavernes toute empreinte d’une formidable poésie. Mais voilà, on se déchiquette, on s’enlève des bouts de corps, on se violente sans y toucher, «pardonnez mademoiselle je viens de vous arracher votre tête, que tout ceci reste entre nous»...

Celle de Marie s’amuse, nous offrant son bestiaire inspiré des saynètes de nos vies bancales, qui emprunte à l’esthétique des premiers explorateurs fascinés par les mondes indigènes. Dessins et collages sont réalisés avec une attention divine aux détails, une virtuosité et une grâce d’exécution qui signe à coup sûr un talent visionnaire.

/Isabelle Floc’h Février 2015