Sans titre, fusain sur papier marouflé, 72 x 97 cm, 2013

 

 

Sans titre, fusain sur papier marouflé, 115 x 115 cm, 2008

 

 

Sans titre, fusain sur papier marouflé, 115 x 115 cm, 2008

Jo Vargas

 

Jo Vargas naît à Paris en 1957, accompagnée de sa sœur jumelle Fred Vargas, auteur de romans policiers. Jo Vargas se destine très jeune au dessin et l’influence de son père, féru de littérature, passionné d’arts, membre du groupe surréaliste, compte sans doute pour beaucoup dans le choix de cette voie. Elle fait ses études à l’Ecole des Arts Décoratifs, en section gravure.

Sa passion pour la musique classique et pour l’opéra la mène à suivre les ateliers de scénographie de Georges Vackévitch puis à être recrutée comme décoratrice aux Ateliers de l’Opéra de Paris. Un chemin qu’elle n’abandonnera jamais, réalisant depuis vingt ans des décors pour le théâtre. Mais très vite, elle choisit de ne se consacrer qu’à la peinture, prenant le pseudonyme de « Vargas », en hommage à l’actrice Ava Gardner, interprète du rôle de Maria Vargas dans « La Comtesse aux pieds nus ». Sa sœur jumelle lui empruntera ce pseudonyme pour signer ses romans policiers.

Le frère aîné des jumelles Vargas, quant à lui, historien, spécialiste de la Grande Guerre, la conduira à un long travail sur le premier conflit mondial, sur l’acmé de violence et l’explosion d’un monde, après lequel ne renaîtront pas les symphonies de Gustav Mahler, après lequel l’art, sous toutes ses formes, devra faire avec un nouveau chaos, s’y allier, l’incorporer, le fuir ou le combattre.

L’œuvre de Jo Vargas épouse le tumulte de son siècle. Sa peinture, minutieuse, maîtrisée en même temps qu’impulsive,  réaliste en même temps que « codée » ou pourquoi pas indéchiffrable quand elle touche aux limites de l’abstraction, est figurative. Mais cette figuration est sans cesse rompue, comme allant s’enfouir dans d’énigmatiques absences, scissions, fractures, distanciations. En dépit desquels les « sujets » demeurent, survivent, de manière délicate et secrète, ou bien à l’inverse s’imposent, brièvement surexposés dans des fulgurances baroques ou ouvertement allégoriques. 

De nuit

Elles sont là, ces figures hantées qui peuplent les nuits blanches et noires de Jo Vargas. Elles vivent “dans les plis” comme l’écrivait Michaux, dans les ondulations, les vagues de l’âme qui les portent et les font naître, et une fois apparues ne nous quittent plus.

Il est des compagnies électives. Il est des compagnons de vie éternels, de ceux qui nous tiennent et nous inspirent à jamais et à qui parfois de rares reconnaissants savent rendre hommage. Un hommage à ceci : sans eux, vivre ne tiendrait plus à rien, à rien du tout. Jo Vargas sait donc s’entourer. Sa peinture suit les plis et les replis des ombres, et donne lumière et matière au tendre éblouissement du génie. Les visages sont comme déployés, surgissant des drapés, écrins sensuels qui bercent et parent l’intensité anxieuse de leur regard. Linceuls ou berceaux, on ne sait. Ce qu’on sent, face à ces figures, et donc peut- être ce qu’on sait, c’est se trouver soudain pris, doucement, surement, irrésistiblement capturés par une incroyable présence. Sous le coup d’un spectre qui semble être d’accord, en accord avec l’inspiration du pinceau à l’origine de sa résurrection.

L’émotion que j’éprouve est peut-être là. Je cherche les mots pour la dire, et ils viennent comme suit : j’aime Jo Vargas de mettre sa palette à la hauteur mélancolique de ce qui la tient. J’aime l’énergie noire de son œuvre, et qu’elle peigne avec de la nuit. Ses visages le savent, car tous ceux qu’elle remet au monde ont vécus de la même énergie et c’est avec cela qu’encore une fois, ils veillent sur elle.

Ils nous apparaissent. Irradiation héroïque de Virginia Woolf, intensité tragique de Delacroix, gravité concentré de Nerval, tous déployés sous les plis de la tourmente, mais aussi comme épanouis par la grâce et la sensualité encore une fois des drapés du peintre qui les sublime et les protègent. Ils nous apparaissent, magnifiques, comme reconnaissant à leur tour, saluant le talent de celle qui comme eux chaque nuit remet son cœur à l’ouvrage, la bourse ou la vie, l’oeuvre ou la mort.

Ils sont, grâce à l’immense talent de Jo Vargas, infiniment proches. La figure de Delacroix émerge dans une nuée entêtante, telle un tourbillon de cendres noires, comme la représentation de la hantise du peintre harcelé par sa vision, mais on pense aussi au précipité de phrases, à Virginia Woolf en proie au vertige incessant des idées et des mots. Si j’ai à définir a l’essentiel ce qui caractérise pour moi la touche géniale de Jo Vargas, c’est de savoir rendre sensible à chaque tableau, a partir de cette base de noir et de blanc, une sorte de point zéro, le temps d’après la chute, après, bien après que l’on ai entendu le dernier des anges se casser la gueule. Et qu’alors au cœur de ce moment silencieux, dans ce silence accepté du désenchantement, un pinceau, la nuit, chuinte et glisse, libre et solitaire, comme sur un morceau de ciel vide.

C’est pas grave, dit-elle, on va tout refaire, on a de quoi.