First Dawn, Dessin graphite sur papier Japon 60 cm x 80 cm, 2015

First Dawn, Dessin graphite sur papier Japon 60 cm x 80 cm, 2015

 

Sans cortège, Dessin au graphite, 100 cm x 70 cm sur papier Japon, Masque VI 2014

Sans cortège, Dessin au graphite, 100 cm x 70 cm sur papier Japon, Masque VI 2014

 

La parade infernale, Gravure, eau-forte, aquatinte, vernis mou et pointe sèche sur papier Tosa Washi. 40cmx50cm.

La parade infernale Gravure, eau-forte, aquatinte, vernis mou et pointe sèche sur papier Tosa Washi. 40cmx50cm.

 

La femme ermite, Gravure, eau-forte, aquatinte, vernis mou et pointe sèche sur papier Tosa Washi. 40cmx50cm.

La femme ermite, Gravure, eau-forte, aquatinte, vernis mou et pointe sèche sur papier Tosa Washi. 40cmx50cm.

 Marie Boralevi

 

Marie Boralevi est une artiste française. Née en 1986, elle vit et travaille à Paris. En 2009, elle obtient son diplôme des métiers d’arts, option gravure, à l’École Supérieure des Arts et Industries Graphiques, Estienne, avec la mention Excellent. Son univers singulier est le fruit d’une rencontre entre une imagination florissante et les techniques qui semblent les plus adéquates pour l’exprimer : la gravure et le dessin. Egalement diplômée avec mention Très Bien, de l’École Supérieure d’Arts Appliqués Duperré, d’où elle sort en 2011, Marie Boralevi promène, au fil de ses œuvres, des créatures saisissantes issues de son imaginaire. Lauréate du prix Pierre Cardin de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France (section gravure) en 2013, ses gravures sont exposées en 2014, au Salon DDessin pour la foire d’Art Contemporain à Paris, puis à ART-Copenhague, et enfin à la galerie La Ralentie, pour une première exposition personnelle. L’univers de Marie Boralevi est d’abord et avant tout celui du rêve. Dans son bestiaire énigmatique, qui emprunte à l’esthétique des premiers explorateurs fascinés par les mondes indigènes, elle brosse avec finesse, la cruauté et la drôlerie de la comédie humaine.Pas de scénario établi, mais une légende à pénétrer, qui se dresse et se vide dans les scènes représentées.

 

Animal Kingdom

Dans le jeu de saute-mouton des rêves, Marie Boralevi est à la fois l’Ariane et la Pasiphaé. Intuitive, elle vogue, confiante, abandonnée aux flux serein de ses images en provenance des hauts fonds de son imaginaire, là où pulsent les forces, l’énergie vive et cruelle de la prédation fondamentale. Mais attention : chez elle, nulle jouissance de la blessure, nulle complaisance morbide, et pour cause.

Naître, renaître, couper, recoller, refondre, son travail est tout entier dans l’idéal d’une renaissance qui bien sûr vient s’échouer tendrement dans le sommeil pour s’enthousiasmer, encore et encore au matin des magiciens. Elle murmure en secret sa rage muette de la métamorphose, sa litanie d’une éternelle genèse, d’images surgies du nulle part, cueillies dans la primeur d’aubes inédites. Indicibles, sauvages, innomées, ses visions s’arrachent comme des membres, et Alice brise son miroir en chantant, célébrant la soudaine poussée de ses deux bois de cerf. Ne jamais dormir, sinon ne jamais s’éveiller, pleurer toujours le sabbat magnifique des nuits pâles où s’ébroue l’animal, poilu, cornu, minaudant sous les jupes du chaperon rose.

Boralevi se joue des limites et des frontières. Elle passe la muraille du temps, elle nous conduit par la main dans le champ de notre préhistoire magnétique, de nos destinées hirsutes. Sauvage et sophistiqué, son univers décline une galerie de personnages tendres et terribles, d’humains mutants à peine déclarés, mi-hommes mi-bêtes en prise au sentimental.

“Esquive du lion chauve” “Séquelle sauvage” la bête est humaine, trop humaine, et elle nous émeut nous fait sourire, sorte de comédie savante des cavernes toute empreinte d’une formidable poésie. Mais voilà, on se déchiquette, on s’enlève des bouts de corps, on se violente sans y toucher, “pardonnez mademoiselle je viens de vous arracher votre tête, que tout ceci reste entre nous”...

C’est pour elle la marque même du féminin, d’une qualité sans nom, d’une indicible, mystérieuse altérité. Cette série de portraits est un hommage à ceci : la marque de l’ailleurs d’un visage, d’une intériorité toujours hors d’atteinte qui par la même fascine. La série, comme on tourne autour d’un noyau d’ombre, serait la tentative d’en relancer l’impossible saisie, comme si l’artiste, les yeux mi- clos, suivait inconsciemment la piste, guidée par l’ombre portée du mystère.

Celle de Marie s’amuse, nous offrant son bestiaire inspiré des saynètes de nos vies bancales, qui emprunte à l’esthétique des premiers explorateurs fascinés par les mondes indigènes. Dessins et collages sont réalisés avec une attention divine aux détails, une virtuosité et une grâce d’exécution qui signe à coup sûr un talent visionnaire.

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Par Marie Boralevi

 

"Les animaux en procession rôdent aux environs d’une terre dont je dessine les seuils. Dans leur hâte de se rendre ailleurs, ils se jettent hors d’eux-mêmes et haranguent les peuples.

Des perceptions de ce monde renversé, jaillissent les mystères d’une rêverie nouvelle et de sa destinée. Pas de scénarios établis, mais une légende à pénétrer, qui se dresse et se vide dans les scènes représentées. Invasion des solitudes, des meutes souterraines du corps.

Loin, dans le nu du métal, dans la peau de ses frontières, dans une plaie ouverte sur ses profondeurs, éclate le bruit des bêtes en devenir. Près, tout près, amassant la lumière, je confie l’entaille à la lame qui déferle en scintillant sur la chair cuivrée d’une joue. Le blanc perce le noir et irrigue la vie. Enfin, les corps occupent leurs formes et prétendent à l’existence. Ni de peau, ni de sang, ils en portent pourtant la profonde connivence, de sorte que ma main tente inlassablement d’en convertir la substance et de rendre la chair présente pour l’œil qui regarde.

Quelquefois, comme la jalousie qui conduit Seth à démanteler le corps de son frère, puis comme la force qui fait naître Ève de la côte d’Adam, l’imprévu se joue et une forme jaillit de la débâcle et des ruines. Féconde, elle porte en elle quelque chose qu’elle m’incite à  venir cueillir : la pousse frêle d’une image à venir, différente et semblable à sa génitrice. Conglomérat d’éclats de gravures, de jambes plurielles et de paroles lues. Dans le chaos nécessaire, déposséder les fragments de leurs mémoires, de la trace de leurs origines. Démanteler puis rebâtir. En désignant une place définitive aux membres d’un corps, cimenter l’architecture d’un ensemble naissant.

Je m’abandonne à la mise en relation des forces entre elles et médite un monde qui se construit dans la sensation. Là, les violences aveugles habitent mon bras qui danse soudain de manière intuitive : désossant ce qui doit être brisé et offrant ce qui doit être offert. Au fil des invocations successives de visages identiques, de gestes dupliqués, l’esthétique du multiple et de la série se déploie. Les semblables se jouxtent et s’inversent dans les images dispersées. Et leurs mains, dont les intentions semblent pieuses, paraissent tracer, par leur immobilité silencieuse et répétée, les signes votifs d’un rite inconnu.

Litanie visuelle. Liturgie profane.

Chœur savamment orchestré qui résiste pourtant à confesser ses intentions ou sa logique, mes formes récurrentes, mi-humaines ou mi-bêtes, se montrent puis se dérobent ; leur mystère prend racine dans la trame d’un récit inavoué et latent, qui ne peut se lire que de l’intérieur et me demeure inaccessible.

Mondes dans le monde ? Rémanence des rêves, des folies enfantines ?

Reliques d’un nouveau temps ? Comment se vit l’inexplicable ?

Parfois, quittant le corps d’une bête, je retrouve le mien et, troublée par cette récente métamorphose, je flotte un moment dans le sillage de ma conscience ; l’esprit encore persuadé de pouvoir faire battre les ailes brûlantes qui perçaient mon dos. Passant instantanément du sommeil à la veille ; les vertèbres vidées, je m’écroule dans l’absence, dans la lumière vacillante, dans l’endroit rétabli et inconnu d’une chambre ; suspendue à la seule des sensations qui subsiste encore en moi : le saisissement pur et brutal de l’existence. Dans ce vertige, exempt des repères de l’habitude, semble se rétablir un état du commencement : ce moment où la perception inachevée d’une jambe peut la rendre liquide ou temporairement inexistante, tandis que la conviction d’habiter un crâne étreint l’âme entière. Naissance de l’entendement. Assister, en un éclair, à l’émergence de sa propre vie et, comme le nourrisson, naufragé anonyme dans les eaux de l’éveil, en découvrir l’écrin.

Un bras puis une main...

Au cœur du papier ; couleur pâle et cassée ; je tente de m’ouvrir à une compréhension alternative du monde. D’en dépouiller le sens et les certitudes pour rétablir par la sensation, cet instant presque flou dans lequel on se sent éclore. J’effleure la violence et les secrets primitifs qui se déploient dans le rêve. Je plonge dans sa matière énigmatique et en extrais la sève. Puis, je tente sans relâche, dans l’image, de provoquer chez l’autre ce tournis de l’éclosion qui ébranle la mémoire et rend les paroles impuissantes.

Dans ces constellations où les bêtes abondent, j’erre, je traque et je voyage. Doucement, les visions que mes entrailles enfantent, se dilatent dans une chevelure infinie. Je me tiens là où se forme, sous le ciel de la conscience, l’étendue d’un territoire."