Raoul Pahin
Je me souviens très bien de ma rencontre avec Raoul Pahin, et de toute l’époque sur le fond de laquelle son travail se détache.
Nous sommes à ce moment dans un moment fécond : C ‘est Chéreau et la création de l’école des Amandiers de Nanterre, Chéreau dont le «Woycek» inoubliable va entre autres inspirer le travail de Raoul et aussi me toucher profondément. Esquisses au crayons, croquis, mouvements des corps accrochés par l’invisible des forces qui les tiennent les uns autres, et puis la solitude, soudain.
De la série de ses fusains, «Drawing Like Sushi» exposés à La Ralentie en mars 2012, nous retiendrons la sobriété, un magnifique dépouillement au service de la gravité qui traverse toute l’œuvre de Raoul. Par exemple le dessin d’un pied d’homme, un pied tout seul, tel le frère orphelin de celui de la Gradiva, sublime de sensuel abandon, de fragilité, mais maculé de tâches et d’ombres qui évoquent une chair en cours de décomposition. Figuration risquée, sans concession, mais qui tient avant tout la rampe du poétique et nous épargne le «trash», la vague sur laquelle surfent tous ceux qui confondent la boucherie et la dimension tragique de l’existence (Shakespeare versus Paris-Match).
L’ exposition «Peinture» nous ramène à l’horizon, au grand large de l’inspiration de Pahin - vous reprendrez bien une bouffée de cette petite fumée qui sors de la tête de ce Diable là, surtout quand il dialogue avec son Jedi intérieur. Une palette, d’abord. La couleur s’invente, douce, à la fois candide et souveraine : elle baigne littéralement le regard, et dessus, comme posés dans un ordre sacré, les objets consacrés d’un genre de culte secret. «Peinture» est la projection du paysage intérieur d’une terre shamane.
Le peintre est assis, il fait face à ce qui lui vient, d’une très ancienne provenance, et du pinceau tombe les signes d’un monde totémique, et de là se réécrivent les rébus, hiéroglyphes intemporels de nos rêves.
C’est pourquoi le travail de Raoul Pahin s’inscrit dans l’exigence qui guide et fonde la ligne artistique de la galerie La Ralentie : des images hors sens, devant lesquelles on communie, des images qui sont autant d’oasis où pouvoir déposer nos regards.