« Une souche » Alexandra Vassilikian
Alexandra Vassilikian est née en 1946 à Bucarest (Roumanie). Elle obtient
sa maîtrise de l’Institut supérieur des beaux-arts de Bucarest en 1971.
De 1979 à 1981, elle est boursière de la fondation Calouste Gulbenkian à
Lisbonne, Portugal, puis de l’Instituto da Alta Cultura de 1981 à 1983.
Cette même année, Alexandra Vassilikian est « artiste-invité » du British
Council à Londres. En 2011, par le biais du mécénat, elle obtient un atelier
dans le château de Guggenberg en Bavière. Depuis 1985, elle vit et travaille
à Paris.
Tout le malheur des plasticiens vient de ce qu’ils ne peuvent tourner paisiblement
autour d’une souche. Alexandra Vassilikian, passant par une forêt bavaroise et
reculée, a croisé, dans une clairière minuscule, une énorme souche aux formes
profuses. Elle y est alors revenue jour après jour, saison après saison, et elle a tourné
autour, a photographié, dessiné et peint sous tous les angles sa souche – c’était
devenu la sienne, comme un paysage lointain dont on permet la contemplation à
partir d’une ouverture de son propre jardin devient, pour les Japonais, un paysage
emprunté. Elle avait emprunté la souche. Cette sorte de nature morte, naturelle et
trépassée, pousse à l’interprétation fantaisiste. Si j’avais le mauvais goût d’attribuer
des états d’âme aux choses, je dirais que cette souche est, selon les jours, éplorée
(toutes racines pendant lamentablement), affolée (le fouillis racinien hirsute et
comme inquiet), délurée (indifférente au regardeur), une autre fois abandonnée
(posée là sans façons, dédaignée, comme un vieux parasol). Mais non, la souche est
là dans sa soucheté, saisie par Alexandra V. comme la chaise de Van Gogh l’était
dans sa chaiseté. Ce morceau de nature rude – primitif, massif, autosuffisant,
silencieux – n’est cependant pas inerte. Les saisons remplissant leur office,
la souche évolue insensiblement, change en surface et, réalisant son destin de matière
organique, elle va vers la dilution : la nature morte est encore mortelle. Quel effet
produit la série de photos qui la saisissent à partir d’un point de vue se déplaçant
parfois imperceptiblement ? Il me semble que d’être immobile comme une souche,
la souche accentue l’idée de mobilité de l’être qui l’observe : par un curieux effet de
retour, c’est la nature aléatoire et inconstante du regardeur qui nous frappe. Ces diverses
saisies renouvelant la vision, soudain on se rappelle deux choses capitales :
d’abord, que si l’on s’arrête, c’est-à-dire si l’on ralentit le rythme des perceptions,
on commence à voir ; ensuite que la profusion peut naître d’un objet unique – c’est
notre regard, parti à la rencontre du donné, qui en fait jaillir l’éclatante richesse.
Par un travail qui s’apparente à une série de subtiles métamorphoses (celles de l’objet
et celles du regard), Alexandra V. nous conduit à un état d’attention silencieuse
extrême. Alors nous jouissons de sa souche, absolument autonome, absolument
détachée, absolument suffisante, absolument transfigurée et jubilatoire.
/ Belinda Cannone
La Souche transfigurée
Exposition du 25 avril au 25 mai 2012
« Une souche »