"Echos" Geneviéve Crouzet et Isabelle Floc'h
GENEVIEVE CROUZET
Depuis 1995, Geneviève Crouzet vit et travaille à Paris. Elle a suivi l'enseignement
du peintre Bruno Mathon et du sculpteur Jonathan Hirschfeld.
" On reste stupéfié devant les créatures de Geneviève Crouzet. Comment dire. On
dirait de l’inventé et pourtant. Quelque chose en nous. Ou plutôt quelqu’un en nous.
Reconnaît ces entités. Qu’on en ait conscience ou pas ou presque. Qu’on le veuille ou
non. On est à la merci d'images dont on ne trouve pas l’origine dans notre mémoire
habituelle. À la merci d’impressions qui à notre connaissance n'ont aucune source
en nous. Pour ce qu’on en sait. Aurait-on vécu avant de vivre.”
/ Jacques Séréna, Ecrivain
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La petite sculpture que je garde sur ma table en permanence est devenu "mon âme".
Le portait de mon âme . J'appelle ainsi cette déesse lare parce qu'elle ressemble à un
oiseau englué de mazout,un échassier chassé par la marée noire,et que c'est très
romantique, je trouve une âme aussi esseulée.....La sculpture pourrait s'appeler
Amoco Cadix - mais cela n'était pas dans les l'intentions de l'auteur,de la sculptrice.
Geneviève l'avait nommée simplement silhouette. En vrai,c'est un pauvre oiseau
filiforme et décati perdu sur une plage hostile ,resté debout malgré tout,bravement.
Il est décharné,mais d'une certaine façon il redresse la tête assez fièrement - il refuse
d'être abattu par l'adversité pétrolière qui lui a presque arraché les ailes. D'ailleurs
c'est une constante dans l'oeuvre de cette sculptrice; elle a l'air d'assembler des bouts
de branches sèches pour portraiturer des personnages,sauf qu'il s'agit bel et bien de
pièces de bronze! Il y a eu un moule (ou pas) et tout le processus compliqué de la
fonte !
Cela crée un contraste interne entre la fragilité,la désinvolture, l'espièglerie même du
dessin et la solennité du matériau-un décalage amusant.
Une autre sculpture de Geneviève représente une femme enceinte,énormément
enceinte: elle n'est qu'un gros ventre entouré de membres longs et grêles en pattes
d'araignées. Ses bras démesurés sont repliés vers l'arrière,elle touche ses reins. La
sculpture s'appelle L'Avenir; l'Avenir a les mains sur ses hanches,elle me fait rire...
Mais pas un rire de moquerie,au contraire une rire de complicité car la fille montre
une certaine forfanterie,une insolence dans la posture.Ce n'est pas de la caricature,
non, c'est autre chose : Geneviève Crouzet possède à son insu la vis comica, ce qui
est rare en sculpture ! Ce qui donne une vie particulière à ses oeuvres, c'est cela:
du rire figé dans le bronze.
/ Claude Duneton.
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ISABELLE FLOCH
Vous êtes devant la feuille, et alors, il se passe quoi ?
Répondre ce qui me vient :
Il y a le lion du jardin des plantes. Peut-être mort à présent, ou bien on en a mis un
autre. Il y a le lion, vous savez, celui du jardin des plantes. Il se tient assis devant le
public, immobile, et toute la majesté qui lui reste fait face chaque jour aux barreaux.
Regarder le lion droit dans les yeux et revenir au Jardin des Plantes rien que pour ça :
son regard jaune et délavé. Assis ou debout, toujours immobile, le regard fixé sur un
point au delà des badauds, la nostalgie de son oeil d’or terni, presque transparent,
me fige. J’y vais en rêve, je rejoins la paille de sa pauvre litière, ce reste de steppes
qui colore encore ses prunelles presque vides à force de tourner en rond.
Qu’est ce qu’il voit encore ? Plus rien ? Un reste de vision de là-bas, son mystère,
sa liberté, sa grâce.
Vous êtes devant la feuille, et alors il se passe quoi ?
Répondre ce qui me vient :
il y a ce moment oublié, qui revient chaque fois, celui où l’image va naître. Avant il
y a une respiration suspendue, juste un instant, face à l‘espace du papier, de la toile
où rien n’est encore écrit. Aucun signe, rien, pas l’ombre de quelqu’un. On va voir,
je ne sais pas. Il y a ces bouts d’images aperçues qui refont signe et disparaissent,
qui reviennent de je ne sais où. Museau luisant du cheval, veines du goémon sur le
sable à marée basse, comme des forêts marines, la surprise des traces naturelles.
Les nuages aussi accouchent de dauphins, les veines du bois figurent parfois des
lapins, ou cet homme qui apparaît soudain sur les flancs de mon bureau : assis,
sa tête dans les mains, les cuisses ouvertes et maigres, cueilli par le regard, comme
déjà peint d’une façon que jamais je n’aurais imaginé moi-même.
La fascination des traces, des cicatrices, l’écorce du bois qui mue tel un serpent,
ses écailles grises, couleurs de braises refroidies. Pourvu que des cendres renaissent
une forme, si possible brûlée. On aurait jamais vu un chat, ni un cheval. On aurait
jamais vu un champ, des papillons, un paon. Autre chose, autre chose, un désir
d’autre chose, comme une ancienne promesse d’apparition crue dans l’enfance,
bien sûr jamais tenue. Ne pas céder, jamais, sur cette soif là.. Peu à dire sur ce qui
vient. Mais quelque chose toujours survient, germe sur ce fond de poudre et de
cicatrices. Toujours cela vient. Très rarement d’une image déjà là, non, cela vient
après, au bout d’une suite de métamorphoses qui à force travaillent, labourent
tannent le papier. Inattendu, le motif alors s’impose. Plus fort que soi, c’est ça,
toujours, face au motif alors s’arrêter, enfin, sans l’avoir réellement décidé.
C’est là, c’est au monde dans un soulagement inouï qui fait se volatiliser le temps
d’avant. Et puis recommencer, a partir de ce qui à été découvert à l’occasion de
ce dessin là, pour le connaître mieux et le pousser plus loin. Une grâce ; c’est le mot.
Une grâce, rien d’autre.
/ Isabelle Floc’h
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Geneviève Crouzet et Isabelle Floc'h
Exposition du 27 mars au 19 avril