14 octobre au 14 novembre - Marie Boralevi

Animal Kingdom

Dans le jeu de saute-mouton des rêves, Marie Boralevi est à la fois l’Ariane et la Pasiphaé. Intuitive, elle vogue, confiante, abandonnée aux flux serein de ses images en provenance des hauts fonds de son imaginaire, là où pulsent les forces, l’énergie vive et cruelle de la prédation fondamentale. Mais attention: chez elle, nulle jouissance de la blessure, nulle complaisance morbide, et pour cause. L’univers de Marie Boralevi est d’abord et avant tout celui du rêve essentiel. Naître, renaître, couper, recoller, refondre, son travail est tout entier dans l’idéal d’une renaissance qui bien sûr vient s’échouer tendrement dans le sommeil pour s’enthousiasmer, encore et encore au matin des magiciens. Elle murmure en secret sa rage muette de la métamorphose, sa litanie d’une éternelle genèse, d’ images surgies du nulle part, cueillies dans la primeur d’aubes inédites. Indicibles, sauvages, innomées, ses visions s’arrachent comme des membres, et Alice brise son miroir en chantant, célébrant la soudaine poussée de ses deux bois de cerf. Ne jamais dormir, sinon ne jamais s’éveiller, pleurer toujours le sabbat magnifique des nuits pâles où s’ébroue l’animal, poilu, cornu, minaudant sous les jupes du chaperon rose.

Boralevi se joue des limites et des frontières. Elle passe la muraille du temps, elle nous conduit par la main dans le champ de notre préhistoire magnétique, de nos destinées hirsutes. Sauvage et sophistiqué, son univers décline une galerie de personnages tendres et terribles, d’humains mutants à peine déclarés, mi-hommes mi- bêtes en prise au sentimental.

«Esquive du lion chauve» «Séquelle sauvage» la bête est humaine, trop humaine, et elle nous émeut nous fait sourire, sorte de comédie savante des cavernes toute empreinte d’une formidable poésie. Mais voilà, on se déchiquette, on s’enlève des bouts de corps, on se violente sans y toucher, «pardonnez mademoiselle je viens de vous arracher votre tête, que tout ceci reste entre nous»...

Celle de Marie s’amuse, nous offrant son bestiaire inspiré des saynètes de nos vies bancales, qui emprunte à l’esthétique des premiers explorateurs fascinés par les mondes indigènes. Dessins et collages sont réalisés avec une attention divine aux détails, une virtuosité et une grâce d’exécution qui signe à coup sûr un talent visionnaire.

Isabelle Floc’h/ septembre 2014.