26 novembre au 22 décembre - Karine Zibaut

L'Apnée des ombres

Ce qui de toi dormait

Plonger, plonger encore, glisser dans la vague subtile, traversée de lumière noire, caressée de longs filaments limoneux. Se tenir les yeux grands ouverts dans l’ombre fertile. Attendre, impatients, émerveillés, ce qui pourrait surgir. Nous y sommes, tout au fond, cernés de silence, les tempes battantes, le regard bercé par la douceur mélancolique de ces mains baignées d’ombres, étrangement libérées. Comme exhumées des grands fonds, elles ont perdu leurs corps et sont prises dans l’entre-deux d’un redevenir organique, juste avant, diraiton, leur métamorphose. Karine Zibaut leur donne une autre chair, à la fois minérale et rêvée, et tout son travail coupe littéralement le souffle. En apnée, en effet, nous sommes. Devant la beauté des surimpressions, de ce risque pris, celui de modeler les ombres et les transparences et de s’abandonner aux surprises des formes soudain entre deux eaux, regarde ! on dirait l’envol d’un ange...

L’Apnée des Ombres de Karine Zibaut nous emmène au cœur d’une vie invisible, à la fois grave et émouvante, frissonnante de la sorte de courant subtil qui moire la surface de certaines images et les rend si vibrantes, telle l’eau profonde soudain pénétrée par la lame vive du soleil sous le vent.

Alors on voit la tendresse combattre en secret la force d’inertie des mains abandonnées, comme suicidées dans l’onde. Un corps est là, un corps, s’est abîmé au cours d’on ne sait quel naufrage intime, les mains ne veulent plus rien, ou bien dansent, vestiges de gisants que l’on dirait ressuscités.

Ce seraient nos mains, mais elles nous auraient quittés un jour, se seraient faites autres, et alors de cet extérieur spectral elles seraient comme douées de paroles sans mots. Muettes, elles nous diraient : Je suis ton futur mortel et ton imploration. Je suis ce qui de toi faisait, touchait, aimait, rêvait. Je suis ce qui de toi désirait, ce qui de toi dormait.

C’est pourquoi elles nous hantent, les images de Karine Zibaut, danseuses orphelines dont les doigts d’ombre et de lumière effleurent, signent, appellent, émouvant lexique d’une gestuelle qui aurait pour seul nom celui d’«Écriture de la Grâce». Tel m’apparut le sens de cette « liturgie minérale» chère tant à Henry Bauchau qu’à l’artiste photographe, dont on peut dire qu’elle nous en donne aujourd’hui la traduction.

/Isabelle Floc’h

 

Ecriture, mise en scène, photographie… Depuis dix ans, Karine Zibaut, dans la forêt des expressions, trace son chemin de création. Avec la vidéo, elle a trouvé une «  chambre claire » qui lui permet de repousser les murs trop pressants des émotions. A travers ces bulles de lumière, des personnages passent, incarnent des jours pleins de vie, des peurs incandescentes, des nuits peuplées des béances du passé.

Karine Zibaut est une femme qui créée, enfante textes et images dans un monde où les femmes sont toujours là pour divertir, travailler, materner. Trop rarement encore pour penser un monde réconcilié de tous les rôles de la féminité.

La force de son travail a jailli dans la plénitude de « Body and soul » dont un premier ouvrage est né. De textes, en films, en happening, une nébuleuse est née. Un univers se créée. Déjà une œuvre.

/Bénédicte Philippe, Telerama